COVID19 – Adoption de nouvelles mesures sociales

L’Assemblée nationale a adopté vendredi 15 mai 2020 en première lecture le projet de loi « relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ». Le texte a été transmis au Sénat qui devrait l’examiner à compter du 26 mai prochain.

Initialement, l’article 1er du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne était un inventaire des ordonnances prévues par l’exécutif, notamment en matière sociale.

Toutefois, conformément à l’avis du Conseil d’Etat sur ce projet (Avis CE 4-5-2020 n° 400060), les députés ont décidé d’inscrire directement dans le projet de loi certaines des mesures qui devaient faire l’objet d’une ordonnance. C’est le cas notamment en matière de CDD et de travail temporaire, de contrats d’insertion dans l’emploi, d’intéressement et de budgets du CSE.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a introduit d’autres mesures par voie d’amendements.

À noter : Le texte présenté par le Gouvernement s’intitulait à l’origine « projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid?19 ». Le nouvel intitulé,  préconisé par le Conseil d’Etat dans son avis, fait ressortir que de nombreuses mesures du texte sont sans lien avec l’épidémie de Covid-19 et ne figurent dans le texte qu’en raison du souhait du Gouvernement de les adopter rapidement malgré les incertitudes affectant le calendrier parlementaire.

Vers un assouplissement des régimes du CDD et des contrats de travail temporaire

Initialement, le projet de loi déposé par le Gouvernement prévoyait qu’il serait habilité à prendre par ordonnance des mesures pour adapter les dispositions relatives  aux CDD et aux contrats de travail temporaire, en ce qui concerne la durée de ces contrats, leur renouvellement et leur succession sur un même poste ou avec le même salarié, en prévoyant la faculté de déroger par convention d’entreprise, dans les limites d’un cadre fixé par la loi et pendant l’état d’urgence sanitaire et une durée n’excédant pas 6 mois à compter de son terme, à certaines de ces dispositions.

Sur amendement du Gouvernement adopté par les députés, ces adaptations à la réglementation applicable en matière de CDD et de contrats de mission sont directement inscrites dans le projet de loi. Elles font l’objet d’un nouvel article 1 decies.

Ainsi, s’agissant des CDD, cet article prévoit que, par dérogation aux articles L 1242?8L 1243?13L 1244?3 et L 1244?4 du Code du travail, une convention d’entreprise pourrait :

– fixer le nombre maximal de renouvellements possibles pour un CDD. Ce nombre ne pourrait avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Cette disposition ne serait pas applicable aux CDD conclus en application de l’article L 1242-3 du Code du travail, c’est-à-dire à ceux conclus dans le cadre de la politique de l’emploi ;

– fixer les modalités de calcul du délai de carence entre deux contrats ;

– prévoir les cas dans lesquels le délai de carence n’est pas applicable.

L’article 1 decies prévoit des dispositions similaires en matière de travail temporaire. Par dérogation aux articles L 1251-12L 1251-35L 1251-36 et L 1251-37 du Code du travail, une convention d’entreprise conclue au sein de l’entreprise utilisatrice pourrait :

– fixer le nombre maximal de renouvellements possibles pour un contrat de mission. Ce nombre ne pourrait avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ;

– fixer les modalités de calcul du délai de carence entre deux contrats ;

– prévoir les cas dans lesquels le délai de carence n’est pas applicable.

À noter : D’après l’exposé sommaire de l’amendement, ces mesures permettraient de prolonger des relations de travail qui n’ont pas pu se dérouler dans les conditions attendues du fait de la suspension des contrats, notamment en raison du recours à l’activité partielle. Il s’agit de trouver une solution à la nécessité de maintenir au sein de l’entreprise les compétences indispensables à la reprise de l’activité. Les contrats concernés devront faire l’objet d’un avenant pour modifier les dates d’échéance.

Que ce soit en matière de CDD ou de travail temporaire, les stipulations de la convention d’entreprise ainsi conclue seraient applicables aux contrats de travail conclus jusqu’au 31 décembre 2020.

Il est précisé que, par dérogation à l’article L 2253-1 du Code du travail, les stipulations de la convention d’entreprise ainsi conclue prévaudraient sur les stipulations éventuellement applicables d’une convention de branche ou d’un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large ayant le même objet.

La durée des contrats d’insertion dans l’emploi serait allongée

Afin de de sécuriser les parcours d’insertion des publics fragiles et d’éviter leur exclusion durable du monde du travail, l’article 1er bis A du projet de loi ouvrirait la possibilité de conclure ou de renouveler les contrats d’insertion dans l’emploi au-delà de 24 mois, en sus des dérogations déjà existantes, et dans la limite d’une durée totale de contrat de 36 mois.

Seraient concernés par cette mesure le contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI), le contrat de mission des entreprises de travail temporaire d’insertion, le contrat unique d’insertion (CUI) et le CDD « tremplin » (CDDT) des entreprises adaptées.

S’agissant du CUI, les aides afférentes seraient prolongées d’autant.

Quant au CDDT dont l’expérimentation a été prévue par la loi du 5 septembre 2018, dite Avenir professionnel, le projet de loi précise que la durée du renouvellement du contrat ne devrait pas dépasser le terme de l’expérimentation, soit le 31 décembre 2022.

À noter : Pour mémoire, le CDDT a pour objet de permettre aux travailleurs handicapés sans emploi ou qui courent le risque de perdre leur emploi en raison de leur handicap de bénéficier d’un parcours de remise à l’emploi, de qualification et de construction d’un parcours les amenant à retrouver un emploi dans une entreprise autre qu’une entreprise adaptée.

Ces mesures s’appliqueraient à compter du 12 mars 2020 pour une durée n’excédant pas 6 mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Intéressement par décision unilatérale dans les TPE

Afin de favoriser la mise en place de l’intéressement dans les très petites entreprises (TPE), l’article 1er quater du projet de loi reprend quasiment à l’identique une disposition qui figurait dans le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique déposé au Sénat le 5 février dernier.

Le projet permettrait ainsi de mettre en place un régime d’intéressement par décision unilatérale de l’employeur dans les entreprises de moins de 11 salariés, par dérogation aux modalités actuelles prévues à l’article L 3312-5 du Code du travail (accord collectif de droit commun, accord avec des représentants d’organisations syndicales représentatives, accord avec le CSE, ratification par les deux tiers du personnel).

Cette possibilité serait ouverte à condition que :

– l’entreprise soit dépourvue de délégué syndical et de comité social et économique ;

– aucun accord d’intéressement ne soit applicable ;

– aucun accord d’intéressement n’ait été conclu dans l’entreprise depuis au moins 5 ans avant la date d’effet de la décision unilatérale.

Les accords pourraient être conclus pour une durée comprise entre 1 an et 3 ans, alors que la durée prévue par l’article L 3312-5 du Code du travail est de 3 ans en principe.

À noter : Cette dérogation à la durée de droit commun des accords d’intéressement ne figurait pas dans le projet de loi d’accélération et de simplification de la vie publique. Elle est calquée sur celle ouverte pour tous les accords d’intéressement conclus jusqu’au 31 août 2020, mais contrairement à cette dernière, elle serait pérenne.

Au terme de leur validité, les accords pourraient être reconduits selon les modalités de droit commun mais pas par une nouvelle décision unilatérale.

Sauf exceptions, les dispositions prévues pour les accords d’intéressement de droit commun, notamment les exonérations sociales et fiscales, seraient applicables à ces dispositifs d’intéressement.

L’ouverture de droits à la retraite pour les salariés en activité partielle confirmée

Le nouvel article 1 quater A du projet de loi conforte l’engagement pris par la ministre du travail d’ouvrir des droits à la retraite pour les salariés placés en activité partielle au titre des périodes correspondantes dans le régime général et le régime des salariés agricoles. Ces droits devraient prendre la forme de périodes assimilées financées par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV).  Pour les salariés des régimes spéciaux, le dispositif devrait être  adapté par voie réglementaire. Cette mesure devrait s’appliquer aux périodes de perception de l’indemnité horaire d’activité partielle à compter du 1er janvier 2020 pour les pensions de retraite prenant effet à compter de la publication de la loi.

Le transfert du budget de fonctionnement du CSE à celui de ses activités sociales facilité

À titre exceptionnel et jusqu’à l’expiration d’un délai de 6 mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, le CSE pourrait décider, par une délibération, de consacrer une partie de son budget de fonctionnement, dans la limite de la moitié de celui-ci, au financement des activités sociales et culturelles.

Rappelons que, en temps normal, aux termes des articles L 2315-61 et R 2315-31-1, le CSE peut transférer au budget des activités sociales et culturelles une partie de l’excédent de son budget de fonctionnement, dans la limite de 10 % de cet excédent.

À noter : Cette disposition est insérée dans un article 1er octies G nouveau. Il s’agit, est-il précisé dans l’exposé de l’amendement, de donner au CSE, la possibilité « d’apporter un soutien matériel supplémentaire aux salariés », la mesure étant complémentaire de la disposition du projet de loi habilitant le Gouvernement à décider par ordonnance d’affecter la contre-valeur des titres restaurants 2020 périmés à un fond de soutien aux restaurateurs. Selon l’un des auteurs de l’amendement, dernièrement, « les CSE se sont le plus souvent réunis de façon dématérialisée, à distance, de sorte que leurs budgets de fonctionnement ont été moins entamés qu’à l’accoutumée. »

Le droit des étrangers encore aménagé

Plusieurs mesures du projet de loi concernent le droit de séjour et de travail des étrangers en France.

Les étudiants et les saisonniers étrangers pourraient travailler plus longtemps en France

En vertu de l’article L 313-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), les étudiants étrangers peuvent exercer, à titre accessoire, une activité professionnelle dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle (soit 964 heures). Afin de permettre aux intéressés de disposer de revenus complémentaires et de répondre à des besoins ponctuels de main d’œuvre (par exemple dans le secteur agricole), l’article 1er bis du projet prévoit de porter, à titre dérogatoire, cette durée maximale à 80 % (soit 1285 heures). La dérogation s’appliquerait au jeune étranger, présent en France à la date du 16 mars 2020 et titulaire de la carte de séjour temporaire « étudiant », jusqu’à la date de reprise effective des cours dans les universités et les établissements d’enseignement supérieur.

L’article 1er ter du projet prévoit une mesure similaire pour les étrangers présents en France à la date du 16 mars 2020 et titulaire de la carte de séjour pluriannuelle « travailleur saisonnier » visée à l’article L 313-23 du Ceseda. En effet, ils seraient autorisés, durant la période d’état d’urgence sanitaire et les 6 mois suivant son échéance (soit jusqu’au 10 janvier 2021), à séjourner et travailler sur le territoire national pendant 9 mois, au lieu de 6 mois en temps normal.

Nouvelle prolongation de la durée de validité de certains titres de séjour

En raison de la crise sanitaire causée par l’épidémie de Covid-19, la durée de validité des documents de séjour sur le territoire national détenus par les ressortissants étrangers et arrivés à expiration entre le 16 mars et le 15 mai 2020 a été exceptionnellement prolongée de 90 jours par l’ordonnance 2020-328 du 25 mars 2020. Cette prolongation a ensuite été portée à 180 jours (sauf pour les attestations de demande d’asile) par l’ordonnance 2020-420 du 22 avril 2020.

L’article 1er quater B du projet, issu d’un amendement du Gouvernement, a pour objet d’étendre le bénéfice de la prolongation de durée de validité aux titres étant arrivés à expiration entre le 16 mai et le 15 juin 2020. Cette prolongation serait donc de 180 jours pour les visas de long séjour, les titres de séjour (à l’exception de ceux délivrés au personnel diplomatique et consulaire étranger), les autorisations provisoires de séjour et les récépissés de demandes de titres de séjour et de 90 jours pour les attestations de demande d’asile.

La durée de perception de l’allocation pour demandeur d’asile serait prolongée

Les députés ont adopté un amendement du Gouvernement visant à prolonger la durée de perception de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) visée à l’article L 744-9 du Ceseda pour les personnes ayant cessé d’y être éligibles à compter du mois de mars 2020.

Ainsi, conformément à l’article 1er quater C du projet, le bénéfice de cette prolongation prendrait fin au 31 mai 2020 pour les demandeurs d’asile et au 30 juin 2020 pour ceux ayant obtenu le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire.

 

© Editions Francis Lefebvre – 2020