COVID19 – Précisions sur les dérogations aux règles de la durée de travail et des congés payés

Pour faire face à l’épidémie de Covid-19, une ordonnance du 25 mars 2020 prévoit les conditions dans lesquelles l’employeur peut imposer la prise de congés payés et de jours de repos. Elle autorise également, dans certains secteurs d’activité, des dérogations aux durées maximales de travail.

L’article 11 de la loi 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures permettant notamment à l’employeur d’imposer la prise de congés payés ou de jours de repos et, pour les entreprises des secteurs « particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale », de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, ainsi qu’au repos hebdomadaire et au repos dominical.

L’ordonnance 2020-323 du 25 mars 2020 est entrée en vigueur immédiatement, soit le 26 mars 2020 (Ord. art. 8). Elle doit faire l’objet d’un projet de loi de ratification.

Congés payés

L’article 1er de l’ordonnance 2020-323 du 25 mars 2020 déroge temporairement aux dispositions légales et conventionnelles en matière de congés afin de tenir compte de la propagation du Covid-19 et de ses conséquences économiques, financières et sociales.

Des dérogations au droit commun

L’ordonnance autorise les partenaires sociaux à déroger, par voie d’accord collectif, aux dispositions du Code du travail relatives aux congés payés figurant sous la section 3 portant sur la prise des congés (articles L 3141-12 à L 3141-23, D 3141-5 et D 3141-6) et sous la section 2 concernant la durée du congé (articles L 3141-3 à L 3141-11 ; D 3141-3 et R 3141-4), ainsi qu’aux stipulations conventionnelles en vigueur au niveau de l’entreprise, de l’établissement ou de la branche (Ord. art 1er, al. 1).

Pour mémoire : le Code du travail prévoit les dispositions suivantes.

La période de prise des congés et l’ordre des départs pendant cette période sont fixés par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche (art. L 3141-15). En l’absence de telles dispositions conventionnelles, la période de congés et l’ordre des départs sont fixés par l’employeur, après avis du CSE (art. L 3141-16).

Qu’elle soit fixée par accord ou unilatéralement par l’employeur, la période de prise des congés comprend obligatoirement la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année, cette disposition étant d’ordre public (C. trav. art. L 3141-13). Elle doit être portée à la connaissance des salariés au moins 2 mois avant son ouverture, délai d’ordre public, c’est-à-dire au plus tard le 1er mars, si elle commence le 1er mai (art. D 3141-5).

Chaque salarié est ensuite informé individuellement de ses dates de vacances au moins un mois à l’avance, délai de prévenance d’ordre public également (art. D 3141-6).

L’employeur peut modifier les dates de congés payés à condition de respecter un délai de prévenance fixé par l’accord collectif précité (C. trav. art. L 3141-15). À défaut, ce délai est d’un mois avant la date de départ initialement prévue (art. L 3141-16).

Toutefois, des circonstances exceptionnelles autorisent l’employeur à changer les dates de vacances moins d’un mois avant la date prévue (art. L 3141-16).

Des dérogations possibles par voie d’accord d’entreprise ou, à défaut, de branche

La faculté d’imposer ou de modifier les congés payés des salariés est subordonnée à la conclusion d’un accord d’entreprise ou, à défaut, un accord de branche (Ord. art 1er, al. 1).

A notre avis : L’accord doit être négocié et conclu selon les dispositions de droit commun.

L’ordonnance retient la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, comme le prévoit l’article L 2253-3 du Code du travail. Selon cet article, l’accord d’entreprise, qu’il soit conclu avant ou après l’accord de branche, prime sur ce dernier.

Aussi, si un accord d’entreprise définit la période habituelle des congés payés dans l’entreprise, l’accord de branche conclu en application des dispositions dérogatoires temporaires de l’ordonnance ne devrait pas s’appliquer sur les points contredits par l’accord d’entreprise.

Dans ce contexte particulier que n’avait pas envisagé cet accord d’entreprise, l’employeur pourrait avoir intérêt à négocier et conclure un avenant à durée déterminée à l’accord d’entreprise pour prévoir les mesures exceptionnelles relatives aux congés payés.

L’employeur pourrait imposer jusqu’à 6 jours de congés

L’accord doit fixer les conditions dans lesquelles l’employeur est autorisé, dans la limite de 6 jours de congés et sous réserve de respecter un délai de prévenance qui ne peut être réduit à moins d’un jour franc, à décider de la prise de congés payés ou modifier unilatéralement les dates de prise des congés (Ord. art 1er, al. 1).

A noter : À ces 6 jours, il faut ajouter les 10 jours qui correspondent au cumul de jours de repos ou de RTT et des droits affectés sur le CET dont l’employeur peut imposer la prise ou modifier les dates.

Il appartient donc aux partenaires sociaux de négocier :

– le nombre de jours de congés laissés à la disposition de l’employeur, l’accord pouvant fixer un nombre inférieur à 6. Selon le rapport au Président de la République, la limite de 6 jours s’entend de 6 jours ouvrables, soit une semaine de congés payés ;

– le délai de prévenance des salariés concernés qui ne peut être réduit à moins d’un jour franc.

A notre avis : L’accord pourrait utilement préciser d’autres conditions : modalités d’information des salariés (rappelons que le délai de prévenance s’apprécie à la date de remise au salarié de la lettre modifiant son départ en congés et non à sa date d’envoi : Cass. soc. 4-3-2003 n° 00-45.410 F-D), modalités d’information du CSE, définition de la période de congés imposée ou modifiée, période de prise des congés et ordre des départs dérogatoires (ce dernier est un thème de négociation légal : C. trav. art. L 3141-15).

Les jours de congés imposés par l’employeur doivent être des jours de congés payés acquis par le salarié, y compris avant l’ouverture de la période au cours de laquelle ils ont normalement vocation à être pris (Ord. art 1er, al. 1).

A noter : Il s’agit là d’autoriser l’employeur à imposer au salarié la prise anticipée des congés payés, c’est-à-dire avant l’ouverture de la période de congés. Rappelons que, dans le cadre du droit commun, la Cour de cassation s’est opposée à cette faculté, même pour tenter de limiter le recours à l’activité partielle (Cass. soc. 19-6-1996 n° 93-46.549 D, Sté Vetsout c/ B.).

Dans les entreprises non soumises à un accord collectif conclu en application de l’article L 3141-10 du Code du travail et qui appliquent donc la période légale, cette possibilité d’imposer les jours de congés payés concerne donc le reliquat des congés acquis à prendre avant le 31 mai 2020 mais également les nouveaux congés acquis du 1er juin 2019 au 31 mai 2020 et qui pourront être pris avant l’ouverture de la période au cours de laquelle ils ont normalement vocation à être pris (soit à compter du 1er juin 2020).

L’accord peut permettre d’imposer le fractionnement des congés

L’accord peut autoriser l’employeur à fractionner les congés sans être tenu de recueillir l’accord du salarié (Ord. art 1er, al 2).

A noter : Il s’agit là d’une dérogation aux dispositions d’ordre public de l’article L 3141-19 du Code du travail selon lesquelles lorsque le congé principal est d’une durée supérieure à 12 jours ouvrables, il peut être fractionné avec l’accord du salarié.

L’ordonnance ne précise pas clairement si l’employeur est autorisé à fractionner le congé principal lorsque le salarié a acquis moins de 12 jours ouvrables, par dérogation aux dispositions de l’article L 3141-18 dudit Code. En faveur de la possibilité d’autoriser l’employeur à imposer un fractionnement dans ce cas, nous relevons que l’ordonnance permet de déroger à l’ensemble des dispositions relatives aux congés payés figurant sous la section 3, y compris donc à l’article L 3141-18 précité.

L’ordonnance ne précise pas non plus si le fractionnement est autorisé à l’occasion de la prise ou de la modification des 6 jours de congés laissés à la discrétion de l’employeur ou s’il s’agit d’une faculté pouvant concerner l’ensemble des congés payés acquis, pendant une période supérieure à l’état d’urgence sanitaire.

À notre sens, dès lors que l’ordonnance autorise la période de congés imposée ou modifiée en application du présent article à s’étendre jusqu’au 31 décembre 2020, l’employeur pourrait être autorisé à fractionner les congés sans l’accord des salariés pendant toute la période d’application négociée.

La durée d’application de la faculté de fractionnement devrait pouvoir être négociée.

Les couples pourraient être privés de congés simultanés

L’accord peut autoriser l’employeur à fixer les dates des congés sans être tenu d’accorder un congé simultané à des conjoints ou des partenaires liés par un pacte civil de solidarité travaillant dans son entreprise (Ord. art 1er, al 2).

Selon le rapport au Président de la République sur l’ordonnance 2020-323, cette mesure permettra au cas où la présence d’un des deux conjoints seulement est indispensable à l’entreprise, ou si l’un des deux conjoints a épuisé ses droits à congés, de dissocier les dates de départ en congés.

L’ordonnance précitée ne précise pas clairement les limites temporelles de cette dérogation. L’accord pourrait clarifier ce point.

Période d’application

La période de congés imposée ou modifiée en application du présent article ne peut s’étendre au-delà du 31 décembre 2020 (Ord. art 1er, al 3).

A notre avis : L’ordonnance 2020-323 ne précise pas si l’accord peut permettre d’imposer la prise ou la modification des 6 jours de congés au plus uniquement pendant la période d’urgence sanitaire ou bien au-delà de cette période. À défaut de précision contraire, ces mesures ont vocation à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2020 ou jusqu’au terme défini par les partenaires sociaux. L’accord pourrait définir la durée d’application des dispositions dérogatoires prévues par les alinéas 1 et 2 de l’article 1er de l’ordonnance.

Jours de RTT et de repos

Les entreprises en difficultés économiques peuvent imposer la prise de jours de repos…

Certains dispositifs légaux et conventionnels permettent aux salariés de poser à leur convenance, en sus des congés payés, des jours de repos ou de réduction du temps de travail (RTT). C’est le cas en particulier des salariés bénéficiant d’un aménagement du temps de travail, d’une convention de forfait en jours et/ou d’un compte épargne-temps.

Les articles 2 à 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoient la possibilité pour l’employeur de déroger aux règles légales et conventionnelles applicables à ces dispositifs et d’imposer la prise de jours de repos aux salariés en bénéficiant ou de modifier leurs dates.

Aménagement du temps de travail sur plusieurs semaines

Les jours de repos ou de RTT concernés sont ceux accordés dans le cadre d’un dispositif d’aménagement du temps de travail sur plusieurs semaines ou d’un accord ou convention collective de réduction du temps de travail maintenu en vigueur en application de la loi du 20 août 2008.

L’article 2 de l’ordonnance autorise l’employeur à :

– imposer la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos normalement au choix du salarié acquis par ce dernier ;

 modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos.

Convention de forfait en jours

Un nombre de jours de repos est déterminé chaque année pour les salariés soumis à une convention de forfait en jours afin de respecter le nombre de jours travaillés prévu par la convention de forfait.

L’article 3 de l’ordonnance permet à l’employeur de :

– décider de la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos prévus par une convention de forfait ;

 modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos prévus par une convention de forfait.

Exemple : Pour une entreprise octroyant les 5 semaines de congés payés légaux ayant conclu avec un salarié une convention de forfait sur la base de 218 jours, le nombre de jours de repos pour l’année 2020 s’élève à 228 (366 jours moins 104 samedis et dimanches, moins 9 jours fériés tombant un jour travaillé et moins 25 jours de congés payés) – 218 = 10 jours. L’employeur pourra, sous réserve des conditions exposées n° 6, fixer seul des dates de pose de ces 10 jours de repos, pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2020. Si le salarié a prévu de les prendre, en accord avec l’employeur, du 18 au 29 mai 2020, l’employeur pourra, par exemple, lui imposer de les prendre plutôt du 6 au 20 avril (à supposer que le lundi de Pâques soit habituellement chômé dans l’entreprise).

Compte épargne-temps

Les salariés bénéficiant d’un compte épargne-temps peuvent l’alimenter en temps (jours de repos, congés payés…) ou en argent. Les droits affectés peuvent être utilisés, dans les conditions définies par l’accord ou la convention collective, pour obtenir par exemple un complément de rémunération, alimenter leur épargne retraite ou se faire indemniser des périodes d’absence. En principe, l’employeur ne peut pas imposer au salarié l’utilisation de ses droits, sauf pour les heures de travail affectées sur le CET à son initiative.

L’article 4 de l’ordonnance octroie à l’employeur la faculté d’imposer l’utilisation des droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié par la prise de jours de repos, dont il détermine les dates.

En revanche, les salariés ont, à notre sens, toujours la possibilité d’affecter des jours de repos ou de congés payés sur le CET dans les limites admises par l’accord collectif et sous réserve que l’employeur n’ait pas imposé la pose de ces jours.

Exemple : Si un salarié a déjà, par le passé, placé 20 jours de congés payés et 15 jours de RTT, l’employeur pourra le contraindre à en utiliser 10 au plus d’ici au 31 décembre 2020.

… sous réserve de remplir certaines conditions

Pour imposer la pose ou la modification des dates de prise des jours de repos, l’employeur doit remplir plusieurs conditions :

– l’intérêt de l’entreprise doit le justifier eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19 (art. 2 à 4) ;

– un délai de prévenance d’au moins un jour franc doit être respecté (art. 2 à 4) ;

– le nombre total de jours de repos dont l’employeur peut imposer au salarié la prise ou dont il peut modifier la date ne peut être supérieur à 10 (art. 5) ;

– la période de prise de repos imposée ou modifiée ne peut pas s’étendre au-delà du 31 décembre 2020 (art. 3 et 4) ;

– le comité social et économique doit être informé sans délai et par tout moyen (Ord. 2020-389 du 1-4-2020 art. 7).

Le CSE a un mois à compter de l’information de l’employeur pour rendre son avis. Le comité peut rendre son avis après l’usage par l’employeur de sa faculté d’imposer la pose ou la modification des dates de jours de repos (Ord. 2020-389 du 1-4-2020 art. 7).

A noter : À ces 10 jours, qui correspondent au cumul de jours de RTT et des droits affectés sur le CET, il faut ajouter les 6 jours de congés payés dont l’employeur peut imposer la prise ou modifier les dates. À la différence des congés payés toutefois, l’employeur peut décider unilatéralement, sous réserve de respecter les conditions précitées, de la pose ou de la modification des dates de prise des jours de repos, sans qu’aucun accord d’entreprise ou de branche l’y autorise. S’agissant du CSE, on relèvera qu’il doit être consulté, mais que cette consultation peut avoir lieu a posteriori.

Durées maximales de travail

Les entreprises essentielles à la Nation peuvent déroger aux durées maximales de travail…

L’article 6 de l’ordonnance autorise en outre les entreprises relevant de secteurs d’activité particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale à déroger aux durées maximales de travail légales et, le cas échéant, aux stipulations conventionnelles applicables.

Les dérogations cesseront toutefois de produire leurs effets le 31 décembre 2020.

A noter : La liste des secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale sera prochainement fixée par décret. Selon le ministère du travail, seront probablement concernés les secteurs de l’énergie, des télécommunications, de la logistique, des transports, de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

Ainsi, ces entreprises peuvent :

– porter la durée quotidienne maximale de travail, fixée à 10 heures, jusqu’à 12 heures ;

– porter la durée quotidienne maximale de travail accomplie par un travailleur de nuit jusqu’à 12 heures (contre 8 heures) ;

– réduire la durée de repos quotidien, fixée à 11 heures, jusqu’à 9 heures consécutives, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n’a pas pu bénéficier ;

– porter la durée hebdomadaire maximale absolue jusqu’à 60 heures (contre 48 heures) ;

– porter la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives (ou 12 mois pour certains employeurs ayant une activité agricole), fixée à 44 heures, jusqu’à 48 heures ;

– porter la durée hebdomadaire de travail du travailleur de nuit calculée sur une période de 12 semaines consécutives jusqu’à 44 heures (contre 40 heures).

…selon des modalités différentes au regard de leur secteur d’activité

Un décret à paraître fixera pour chacun des secteurs d’activité concernés les catégories de dérogations admises parmi celles mentionnées et, dans le respect des limites qu’elles fixent, la durée maximale de travail ou la durée minimale de repos qui peut être fixée par l’employeur.

L’employeur qui use d’au moins une de ces dérogations en informe sans délai et par tout moyen le comité social et économique ainsi que le Direccte.

Le CSE a un mois à compter de l’information de l’employeur pour rendre son avis. Le comité peut rendre son avis après l’usage par l’employeur de l’une ou plusieurs dérogations précitées (Ord. 2020-389 du 1-4-2020 art. 7).

 

© Editions Francis Lefebvre – 2020